Les enfants du Congo
Introduction

Les enfants dans la République Démocratique du Congo ont vu leurs vies menacées, leurs familles déchirées, leurs écoles détruites et leur futur compromis. Nombre d’entre eux n’ont plus de foyer—enfants de la rue abandonnés, certains accusés de sorcellerie, d’autres nés après un viol ou devenus orphelins à cause de la guerre.
Mais si les enfants sont la fraction la plus vulnérable d’une société brisée, ils comptent aussi parmi les plus résistants.
Quand une école a été détruite, ils sont capables de marcher des kilomètres pour en trouver une autre.
Ceux qui ont survécu à la polio parviennent à jouer au foot et fabriquent des appareillages et des prothèses pour les autres jeunes handicapés.
Les filles et les jeunes femmes qui ont été violées poursuivent des programmes de formation en coiffure, couture ou cuisine. Elles trouvent un abri dans des maisons collectives où elles peuvent se remettre de leurs traumatismes, puis avec le temps, reprendre confiance en elles et envisager de gagner leur vie.
Les anciens enfants-soldats étudient l’agriculture et apprennent à fabriquer des meubles.
Pour de nombreux gamins affectés par la guerre, des programmes en art, basket-ball, et autres sports offrent autant de diversion que de camaraderie, élargissent l’horizon, et encouragent de nouveaux talents. Pour certains, ce sont les seuls points de chute qui leur permettent de rencontrer les autres et aussi de se sentir à nouveau entiers.
Nous vous proposons ici certaines de ces histoires pour une prise de conscience des difficultés rencontrées afin d’obtenir la paix et la sécurité dans ce pays où la guerre et ses conséquences ont fait des millions de victimes.
Nous espérons que les lecteurs découvriront ici ce que nous avons rencontré tant de fois lors de notre reportage —que la République Démocratique du Congo est aussi l’un des endroits les plus beaux et les plus enthousiasmants sur terre.
Cet ouvrage met en valeur des paysages inoubliables, une terre fertile et de superbes volcans ainsi qu’un immense fleuve qui traverse le continent. Mais c’est aussi un hommage au courage de son peuple, surtout ses enfants exposés de plein fouet aux difficultés. Ils prennent en main leurs propres vies dans une nation qui compte précisément sur eux pour le futur.
Plusieurs de ces histoires ont été adaptées à partir d’articles publiés dans TruthAtlas, Dowser, The Washington Post, PBS NewsHour, et The Christian Science Monitor.
Nous remercions l’Open Square Charitable Gift Fund pour son soutien tout au long de ce reportage ainsi que pour tout ce qu’ils ont mis en œuvre pour aider les femmes et les enfants du Congo.
Ce livre électronique est dédié à notre fille Ida, qui nous a présenté de nombreuses personnes dépeintes ici, et à feu Jean Baptiste Bengehya Mwezi, son collègue de longue date qui travaillait pour l’ONG, Human Rights Watch, un ami avisé et généreux pour nous tous.
Kem Knapp Sawyer & Jon Sawyer

Les filles de Goma

Yolande, qui porte un T-shirt rose vif, une jupe en jean et des sandales roses, tient dans ses bras son enfant de deux ans, pétillant de vie. Le soleil de midi brille fortement et l’air sec est chaud. Yolande emmène sa petite fille vers un seau jaune dans la cour, où tous les bambins se baignent ensemble. Ravis, les enfants pataugent et s’éclaboussent avec l’eau savonneuse.
Yolande et sa fille habitent la Maison Marguerite au cœur de Goma près de la frontière est de la République Démocratique du Congo. Cet abri, installé par une institution catholique charitable avec un personnel congolais, est une petite enclave abritant les jeunes femmes et les filles qui ont survécu à la violence sexuelle.
Celles qui arrivent à la Maison Marguerite y trouvent non seulement un endroit où vivre, mais aussi une communauté où elles se sentent les bienvenues, avec l’opportunité d’aller à l’école sans payer de scolarité, en ayant la responsabilité de s’occuper d’elles-mêmes tout en aidant les autres.
Dans cette ville et sa région où le viol est tout à fait courant et la peur fait partie de la vie de tous les jours, la Maison Marguerite ne peut malheureusement se vanter d’avoir totalement vaincu tous les démons qui sont la plaie du Congo de l’Est.
C’est une leçon qui montre ce qui est possible, une lueur d’espoir dans un endroit où les jeunes femmes aspirent à l’intégration et à de nouvelles perspectives.
Goma, capitale de la province du Nord Kivu, à l’est du Congo, a été l’épicentre de combats qui ont ravagé cette région depuis 1998. Les groupes rebelles rivalisent pour contrôler, piller, détruire des foyers, recruter les enfants par la force, déplaçant des villages entiers, tuant les civils, violant les femmes et les jeunes filles.
En avril 2014, Navi Pillay, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a rapporté que le gouvernement avait recensé 26 339 incidents de viols et autres agressions sexuelles dans sept provinces pendant les années 2011 et 2012 —et 15 352 autres cas en 2013. Les véritables chiffres sont probablement bien plus élevés.
D’après un rapport de l’ONG internationale Human Rights Watch en juin 2014, “des groupes armés et des membres de l’armée congolaise ont utilisé le viol comme arme de guerre pour ‘punir’ les civils appartenant à un groupe ethnique particulier, ou ceux qu’ils ont accusés de soutenir ‘l’ennemi.’ La stigmatisation et la crainte du rejet par leurs familles ou communautés ont empêché de nombreuses femmes et jeunes filles de dénoncer le viol.”

Une mère et une aide-soignante surveillent le bain en extérieur des petits enfants à la Maison Marguerite.
Dr. Alice Mudekereza, une Congolaise de 37 ans, militante pour les droits des femmes et des enfants, dit que comme les soldats ne sont pas souvent punis, les civils considèrent qu’ils ont carte blanche. Et tout comme dans d’autres régions déchirées par la guerre, ce sont les jeunes femmes et les enfants qui souffrent le plus, finissant rejetés, orphelins, sans abris, —ou enceintes.
Mudekereza a étudié la médecine à Lubumbashi et vient de passer les 10 dernières années dans le Congo de l’Est travaillant à promouvoir le statut des femmes et des filles, à éviter la transmission du VIH aux bébés, et à soutenir les victimes de violence sexuelle. Elle a constaté en direct le besoin pour les survivantes d’un viol d’avoir un soutien psychologique.
A maintes reprises, elle a vu leurs familles les abandonner. Or une fois seules, elles ne rient plus, elles se renferment sur elles-mêmes et ne cessent de se sentir tristes.
Sans leur foyer propre, trouver un abri de transition est l’une des plus grosses difficultés pour ces jeunes femmes, surtout s’il y a un bébé en plus. Malgré les nombreuses ONG et agences de services sociaux à Goma —les sigles sur les portails le long de la route principale le prouvent—celles-ci n’offrent pas toutes les soins pratiques ni l’ambiance familiale de la Maison Marguerite.
Cependant il faut de la persistance afin de pouvoir y rentrer. Nombreuses sont celles qui n’arrivent jamais jusqu’à la porte. Celles qui y arrivent sont souvent repoussées. Et elles ne sont pas bien nombreuses à revenir une deuxième fois.
Yolande fait partie de celles qui sont revenues.
Enceinte—et non pas par choix
“Je dors bien et j’ai un très bon lit,” explique Yolande. Elle se considère chanceuse, mais pour elle rien n’est entièrement acquis. Elle nous dit qu’elle avait 16 ans quand elle a été violée et s’est retrouvée enceinte. “J’ai beaucoup souffert pendant ma grossesse. Tout le monde me rejetait.”
Yolande (dont le nom a été changé pour protéger son identité) avait déjà subi le rejet. Son père, le chef d’un village près de Butembo, au nord de Goma, est mort empoisonné alors qu’elle était petite. Sa mère ne pouvait plus s’occuper des neuf enfants, alors Yolande a été envoyée avec de la famille à Goma.
Après son viol, sa famille et ses amis l’ont rejetée, puis une voisine l’a amenée à la paroisse Notre Dame d’Afrique pour qu’elle puisse être conseillée.
Même si de nombreuses femmes à Goma accouchent à la maison, souvent sans sages-femmes, quand Yolande a eu ses premières contractions, il était visible qu’elle et son bébé étaient en péril alors sa tante l’a emmenée à l’hôpital pour une césarienne.
“On m’a fait une perfusion,” se souvient Yolande. “Les infirmières ont pris soin de ma cicatrice. J’ai été bien traitée.”
Après la naissance du bébé, une femme âgée a proposé à Yolande un endroit temporaire où rester. Elle était très reconnaissante d’avoir un toit sur sa tête, mais elle et son bébé n’avaient pas de confort. Une jeune mère rencontrée à l’hôpital l’a convaincue de venir visiter la Maison Marguerite. “Tu trouveras d’autres jeunes femmes-là,” lui a-t-elle dit.
Frapper à la porte
La Maison Marguerite n’est pas juste une maison, mais un petit ensemble composé de plusieurs bungalows en bois peint appelés maisonnettes —vert, orange, jaune, vert citron. Un haut mur en pierre entoure la propriété. Le linge sèche dehors. Le bois est empilé dans un coin. Un four extérieur délimite le coin cuisine. Plusieurs éviers sont glissés sous une bâche.
L’école pour les filles et les jeunes femmes se trouve dans l’un des bâtiments. Certaines étudiantes vivent dans les maisonnettes. D’autres viennent juste pour la journée, apportant leur bébé attaché dans leur dos.

Une mère tient son enfant devant un bungalow de la Maison Marguerite, un centre qui propose des logements de transition pour les filles-mères
Quand Yolande est arrivée pour la première fois à la Maison Marguerite en 2012, elle s’est instantanément sentie chez elle —c’était un endroit où elle pourrait être heureuse. Elle a rencontré le directeur Jean Paul Kinanga et l’a supplié de la laisser rester. Jeune et énergique, Kinanga voulait l’aider mais il n’y avait pas de place pour une jeune femme de plus et son bébé.
“J’ai été persévérante. J’y retournais sans cesse,” nous dit Yolande. Elle a demandé à Kinanga de lui faire passer un examen de maths, sachant que si elle réussissait, elle aurait une meilleure chance de le convaincre de la garder. Cela a marché. Elle a si bien réussi que Kinanga accepta de l’inscrire comme étudiante de jour.
Néanmoins Yolande rêvait de s’installer dans une maisonnette. Elle ne pouvait plus rester chez la vieille dame. “Après la classe, les autres enfants rentraient chez eux. Je suis venue voir Jean Paul et j’ai pleuré,” se rappelle-t-elle. “J’ai expliqué ma situation et je lui ai dit que je voulais vivre ici. Je retournais sans cesse le voir.”
Et puis un jour, après un mois d’attente qui a semblé à Yolande une année entière, Kinanga lui a dit : “Tu vas pouvoir poursuivre ton éducation et ton métier ici.”
Depuis, Yolande et sa fille dorment sous une moustiquaire dans une chambre avec une autre mère et son bébé.
Jean Paul nous a expliqué que la Maison Marguerite abrite 22 filles ayant survécu à la violence sexuelle, des anciens enfants-soldats ou “femmes” de soldats, et “des filles vulnérables”—des enfants de la rue qui n’ont pas de foyer et qui comme Yolande viennent frapper à la porte.
Et ils sont nombreux à venir frapper.
En novembre 2013, le M23, un groupe de rebelles sur l’offensive depuis un an et demi, commettant des meurtres à répétition et des atrocités, a subi une défaite et des centaines de combattants ont été désarmés.
Cependant la menace provenant d’autres groupes n’en reste pas moins réelle et généralisée. La violence peut très bien continuer.

Deux jeunes mères et leurs bébés partagent une chambre dans une maisonnette .
C’est très frustrant pour Jean Paul de manquer d’espace pour accueillir les nombreuses victimes d’abus sexuel. “Il y a tellement plus de demandes maintenant. Avec toute l’insécurité dans la région, la pauvreté a augmenté, ce qui a mené au pillage et au viol,” dit-il.
“Je ne pense plus à mes amis dans l’ancien quartier,” dit Yolande. Elle s’est fait de nouvelles camarades et a le temps d’écouter de la musique sur la radio. Elle est contente. “Quand il me manque une chaussure ou si ma jupe est sale quelqu’un me trouve une chaussure ou une jupe.”
Yolande veut devenir couturière et apprend la couture avec sept autres étudiantes. “J’ai beaucoup appris,” nous a-t-elle dit. “Quand je fais des erreurs les enseignants m’aident et me soutiennent.”
Bientôt elle devra partir. Elle a maintenant la formation et les talents pour devenir couturière, mais d’abord il lui faut trouver un endroit pour installer son échoppe.
Parmi les autres jeunes femmes, certaines étudient afin de devenir cuisinières ou pâtissières. Des neufs élèves de la classe de pâtisserie, quatre sont déjà mères et amènent leur nourrisson en classe. La classe de coiffure a encore plus de succès avec les seize filles entre 12 et 17 ans qui y suivent les cours. Huit d’entre elles vivent dans la Maison Marguerite et les autres sont des élèves à la journée. Plusieurs d’entre elles ont déjà commencé à travailler et gagnent environ $5 par semaine; après leur diplôme, elles gagneront $30 par semaine.
“Guérir n'est pas une question de chirugie ni de pilules.”
La Maison Marguerite est une petite enclave, une ramification du centre Don Bosco Ngangi, organisation qui s’occupe de plus de 3000 jeunes dans Goma et ses environs. Créé par l’ordre catholique des Salésiens, qui travaille avec les jeunes à risque, le centre a été nommé Don Bosco, en hommage à un prêtre italien du XIXe siècle qui recueillait les enfants dans la rue.
Au début, Don Bosco Ngangi proposait un endroit pour que les jeunes dans le quartier de Ngangi puissent faire du sport. C’était en 1988. Mais maintenant le centre occupe environ 7 hectares, gère plusieurs abris satellites plus petits, et éduque quelques-uns des jeunes les plus vulnérables de Goma. La plupart vont à l’école pendant la journée tandis que d’autres sont pensionnaires et ont un dortoir. Parmi eux, il y a des jeunes femmes comme Yolande, des survivantes de violences sexuelles. D’autres sont d’anciens enfants- soldats prêts à effacer leur vie antérieure.
Les garçons étudient tout de l’électricité à la plomberie, la maçonnerie, le soudage et l’agriculture. Frère George, un religieux salésien, dirige le programme de menuiserie. Il enseigne bien plus que de nouvelles compétences car développer le caractère est essentiel. “Je dois aider les jeunes et m’assurer qu’ils ont les pieds sur terre,” explique-t-il.
Au tout début de l’ouverture du centre, les élèves n’étaient pas concentrés et s’endormaient souvent. Pascal Kyksa, un assistant social à Don Bosco Ngangi, ayant grandi à Goma, nous a expliqué que la cause en était la faim. Alors, le centre s’est mis à proposer un repas à midi et tandis que le nombre d’élèves augmentait, les quantités de gruau devaient augmenter aussi.
L’équipement culinaire est conçu dans le genre taille géante. Une grande bassine, fabriquée en Italie contient 800 litres de haricots. Le chef remue les haricots avec une cuillère qui ressemble plus à une rame. Puis il répartit la nourriture, maïs pilé, haricots, et cassava dans des seaux—un pour chaque classe. La réserve contient de grandes quantités de nourriture, mais les approvisionnements partent vite quand il y a plus de 3 000 bouches à nourrir. Chaque mois, le personnel s’inquiète de ce qu’il se passera quand il n’y aura plus de nourriture; ils ont eu de la chance —les nouvelles donations arrivent petit à petit et les stocks sont renouvelés.

Le chef prépare un repas du midi pour plus de 3 000 élèves au Centre Don Bosco Ngangi à Goma. Ici il remue un gruau de maïs dans une cuve de 800 litres. Les cuves ont été conçues en Italie.
“Sans repas du midi, les enfants ne mangeraient pas,” explique Monica Corna, une bénévole qui a vécu et travaillé au centre pendant 11 ans. Sur les 65 écoliers interrogés, seulement 18 mangeaient un repas du soir à la maison.
Le centre offre aussi un abri aux mères dont les bébés, certains avec le SIDA, souffrent de malnutrition. Un nutritionniste examine les bébés, les pèse, mesure les têtes et les bras. Il est tout aussi important d’enseigner aux mères une bonne nutrition que l’alphabétisation.
En cas de combat, les villageois se réfugient dans le centre.
En novembre 2012, quand les rebelles M23 ont pris le contrôle de Goma, les enfants, le personnel, les parents et les voisins se sont tous réunis dans la grande entrée pour la nuit—avec les chèvres et les cochons. Le lendemain matin, ils ont trouvé des douilles et des balles par terre.
Après un mois, une fois que les rebelles se sont retirés de Goma et que la situation est devenue un peu plus stable, ceux qui s’étaient réfugiés à Don Bosco se sont dispersés. Chaque famille a reçu deux bâches fournies par l’UNICEF, l’une pour recouvrir le toit de leur future habitation et une autre à vendre afin d’acheter de la nourriture.
Pour ceux de Don Bosco Ngangi, il est devenu évident que l’on ne peut pas traiter un problème sans en réparer un autre. De toutes les personnes que nous avons rencontrées à Goma, celle qui nous a exprimé le mieux le besoin d’une approche était le Dr. Jo Lusi, chirurgien et fondateur de HEAL Africa, qui assure la formation de médecins à Goma: “Afin de permettre au pays de se développer, la mère doit savoir lire et écrire.”
Avec son sourire engageant, une voix ayant de l’autorité, et une exubérance contagieuses, il est facile de voir pourquoi Lusi a eu autant d’influence. “Guérir n’est pas une question de chirurgie ni de pilules,” dit-il. Il pense sincèrement que le rôle des femmes doit changer —quelque chose qui doit être entrepris tant par les hommes que par les femmes.”
L’expérience, à défaut du Dr. Lusi lui-même, a enseigné la même leçon à l’équipe du Don Bosco Ngangi, la préparant à prendre des directives multiples. La violence envers les femmes affecte toute la communauté; il n’y pas de manière simple et directe pour aider des jeunes femmes à se remettre d’un viol ou de l’exclusion. Le changement a lieu seulement quand on envisage plusieurs solutions et une approche diversifiée pour les questions de pauvreté, d’éducation et de justice.
“Ils ne gagneront pas des millions, mais ils pourront gagner leur vie.”
Don Bosco Ngangi va célébrer son 25e anniversaire cette année. À sa tête, il y a le Père Piero Gavioli, le directeur. Sans prétentions, calme, engagé, c’est un prêtre assez courageux pour envisager les choses par petites étapes, pensant que celles-ci feront la différence. “Nous aidons les gens à prendre leurs vies en main. Ils ne gagneront pas des millions mais ils pourront gagner leur vie,” dit-il. Il songe à de nouvelles manières d’offrir une formation professionnelle —par exemple une ferme à café en dehors de la ville, ou bien une galerie pour vendre des objets artisanaux réalisés par les jeunes de la Maison Marguerite.
Gavioli maintient le cap. Il a des rêves pour ce pays qui est le sien depuis plus d’un demi-siècle. “La terre est très fertile, les paysages sont d’une beauté étonnante. Nous avons des richesses minérales —les possibilités pour notre pays sont immenses,” dit-il. Mais avec tous les combats, le progrès est lent. Néanmoins, “sans Don Bosco Ngangi plusieurs centaines d’orphelins seraient morts et des milliers n’auraient pas reçu d’éducation. Bien plus encore seraient devenus des enfants-soldats ou des prostituées.”
Tandis que la Maison Marguerite offre un refuge à des douzaines de filles, Gavioli souhaiterait pouvoir augmenter le nombre de jeunes femmes aidées, en accordant aux victimes de viol le temps de se remettre, d’acquérir de nouvelles compétences et de s’apercevoir que les autres se soucient d’elles. Il veut guérir le corps, l’esprit et l’âme afin de permettre à ces jeunes femmes de démarrer une nouvelle vie.
Joséphine Malimukono, directrice de la Ligue pour la Solidarité Congolaise, une ONG qui défend les droits de la femme et la justice sociale, lance un appel afin d’obtenir plus de soutien pour des organisations telles que Don Bosco et la Maison Marguerite. La demande est trop importante. Le centre et l’abri ne peuvent faire face et ne peuvent répondre à la grande majorité. Le gouvernement congolais doit honorer son engagement envers les jeunes du pays, dit-elle.
Se prendre en main
Yolande est l’une de ces jeunes femmes à qui l’on a donné une deuxième chance. Il y en a d’autres. Sophie (dont le nom a été changé) était depuis huit mois à la Maison Marguerite quand nous l'avons recontrée. Elle étudiait les maths ainsi que la couture et le travail à façon.
Sophie est née à Uvira, dans le Sud-Kivu, où son père est mort quand elle n’avait que trois ans. Elle a vécu seule avec sa mère, séparée de son frère et de sa sœur. Au printemps dernier, sa mère et elle rentraient à la maison en revenant de l’église quand des combattants miliciens Maï-Maï ont saisi sa mère “et l’ont emmenée dans les collines.” Ils l’ont battue et agressée. En nous racontant cela, Sophie s’est mise à pleurer.

Sophie est reconnaissante pour le soutien reçu à la Maison Marguerite, mais se fait du souci pour son avenir.
Sophie dit qu’elle travaille dur et relit ses notes pendant son temps libre. Elle lit aussi la Bible.
Elle dit bien manger, surtout du poisson et des légumes. Elle a terminé son apprentissage de couturière. Dès qu’elle aura passé ses examens, il faudra qu’elle parte et se trouve du travail.
Pour une institution telle que la Maison Marguerite c’est ainsi que les choses doivent se passer, il est essentiel que les résidents apprennent un métier et partent pour mener des vies indépendantes.
Ce n’est pas toujours facile pour celles, comme Yolande et Sophie, pour qui la Maison Marguerite a été une source de refuge, de consolation, et de soutien.
Sophie se fait du souci. Ce sera sûrement difficile de trouver du travail quand elle sera partie. Une partie d’elle aimerait pouvoir rester à la Maison Marguerite.
Dans les rues de Kinshasa

Le garçon est accroupi à l’arrière d’un van. Des gouttes de sang dégoulinent de sa tête sur sa chemise —il a été blessé par une bouteille quand il s’est bagarré. Stanislas Lukumba, un grand infirmier, bel homme dans les 40 ans vérifie s’il reste des éclats de verre, tandis que le chauffeur éclaire la plaie avec son téléphone portable.
Depuis les huit dernières années, Stanislas fait des sorties nocturnes avec le van, sorte de clinique mobile qui circule dans Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo. Il s’arrête dans les quartiers où les jeunes traînent dans les rues et recueille ceux qui ont besoin de se faire aider.
Stanislas Lukumba, un infirmier, soigne une plaie à l’arrière du van qui circule comme une clinique mobile dans Kinshasa.
Kapeta Benda Benda l’accompagne, mais sa mission est différente. Quand le van s’arrête, Kape, comme il aime être appelé, sort et parle aux gosses de la rue qu’il rencontre. Il leur demande comment s’est passée leur journée, ce qu’ils ont mangé et quels sont leurs problèmes. S’ils veulent parler, il les écoute.
Grace Lambila, une assistante, est avec lui. Elle rencontre Fundi, un garçon de 13 ans qui lui raconte être né et avoir grandi à Lubumbashi. Il y a un an sa mère l’a amené avec sa sœur à Kinshasa où elle devait retrouver le père des enfants. Une fois arrivés, ils ont découvert que le père avait pris une autre femme. La mère est rentrée à Lubumbashi, laissant les enfants avec leur père. Comme il les maltraitait, la sœur de Fundi est partie vivre avec son oncle. Fundi, lui, s’est enfui et vit maintenant dans la rue. Il espère que son oncle trouvera assez d’argent pour les renvoyer tous les deux avec sa sœur chez leur mère. Il aime l’école, surtout les maths, l’histoire et les sciences, et a très envie de retourner en classe.

De jeunes garçons dans un centre dirigé par l’ORPER (Oeuvre de Reclassement et de Protection des Enfants de la Rue). D’après l’UNICEF le nombre des enfants dans la rue à Kinshasa s’élève à 20 000—mais les chiffres augmentent tous les jours.
Kape et Grace disent aux enfants qu’ils les amèneront à un centre s’ils ont envie d’y aller. Le centre est dirigé par l’ORPER (Oeuvre de Reclassement et de Protection des Enfants de la Rue), une organisation qui offre de l’aide, et parfois un foyer, aux enfants de la rue. Mais cela nécessite généralement plusieurs rencontres avec Kape et Grace avant que les enfants ne leur fassent assez confiance pour ne plus être sur la défensive.
Petit garçon, Kape a lui-même été abandonné par ses parents. Il a vécu dans la rue jusqu’à l’âge de 10 ans avant d’être recueilli par l’ORPER. Fondé en 1981 par un prêtre catholique, l’ORPER dirige des centres “ouverts” où les enfants sont libres d’aller et venir et des centres “fermés” où ils doivent s’engager à rester pour une durée déterminée.
Kape emmène les enfants dans un centre ouvert sur l’avenue Popokabaka dans le quartier de Kasa-Vubu, dirigé par Annette Wanzio qui travaille avec des enfants de la rue depuis 20 ans —dont 12 ans dans ce centre. Ici les garçons, âgés de 6 à 18 ans, peuvent prendre une douche, manger, dormir et apprendre.
Plusieurs des enfants qui viennent au centre ont été accusés de sorcellerie; parce que lorsque les pères prennent une seconde femme, ils n’ont souvent pas assez d’argent pour nourrir tous les enfants, alors certains sont désignés comme “sorciers” et abandonnés dans la rue.
Ces enfants ont l’habitude de vivre dans le mensonge, explique Annette. C’est pourquoi elle aime créer un climat de confiance, prendre le temps de les connaître, leur apprendre à lire, organiser des jeux. S’ils retournent dans la rue, elle leur dit qu’ils seront toujours les bienvenus s’ils reviennent au centre —surtout s’ils deviennent malades.
“En Afrique,” nous dit Annette, “les enfants appartiennent à tout le monde —un oncle, une tante. Un enfant est un bijou.” Elle et d’autres à l’ORPER travaillent dur pour placer les enfants avec leurs familles élargies, ce qui peut parfois prendre des années ou ne pas réussir du tout. Sur chaque centaine d’enfants qui passent par le centre, seulement 40 retournent dans leurs familles. “Certaines familles se disent : ‘En fait, ils vont bien alors pourquoi devraient-ils revenir chez nous?’” ajoute-t-elle.
Au centre, les enfants reçoivent un repas correct —des plats qu’ils cuisinent eux-mêmes sous contrôle d’adultes. Ils peuvent aussi jouer au rugby; chanter dans une chorale; étudier la lecture, l’écriture et l’arithmétique. Christian Matondo suit des cours de rattrapage pendant la journée et travaille dans un parking, Place Victoire, la nuit. Il gagne environ $3 par jour, assez pour acheter du supplément de nourriture. Ariel Irelle, 13 ans, va aussi Place Victoire, mais pour mendier. Généralement il gagne environ $1.50 par jour. D’autres enfants à l’ORPER récoltent de l’argent en vendant des sacs plastiques, qu’ils ont trouvés dans les poubelles, ou alors se prostituent. Il y en a qui boivent de l’alcool ou même font fondre du Valium dans une bière Primus, qu’ils secouent et boivent, enchaînant sur du cannabis, puis ils répètent la séquence. Ils font cela, nous explique Annette, afin d’oublier.
“Nous avons un problème,” dit-elle. “Plus nous faisons, et plus il faut faire. En 2006, il y avait 13 500 enfants dans les rues de Kinshasa. Maintenant, d’après les estimations de l’UNICEF, il y en a plus de 20 000.”

Des gosses de la rue attendant que le dejeuner soit servi au centre ORPER a Kinshasa.
Sœur Stella Ekka est née près de Calcutta et a travaillé pendant 17 ans dans un centre fermé pour jeunes filles, Home Maman Souzanne, dans ce même quartier Kasa-Vubu de Kinshasa. Elle supervise 23 filles, âgées de 6 à 15 ans. “Je suis exténuée,” dit-elle. “Cela me rend triste de voir des enfants dans la rue. Je dois faire quelque chose.”
Certaines des filles du centre ont souffert d’abus physiques ou sexuels et se sont enfuies de chez elles. Certaines ont été abandonnées par leurs parents, trop pauvres pour s’en occuper. D’autres ont été accusées de sorcellerie après être tombées malades.
Pendant la nuit, les filles dorment dans deux chambres sous l’œil vigilant d’un garde. Sœur Stella dit qu’elles ont désespérément besoin de moustiquaires. Les filles possèdent peu de choses —des vêtements de rechange, un uniforme d’école. Elles partagent 30 livres, quelques crayons, une poupée, et un jeu de Scrabble. Dans l’une des pièces, il y a la télévision.
Sœur Stella est très fière de la jeune fille qui a trouvé du travail dans une banque, de celle qui a épousé un médecin, et de la jeune femme qui est partie vivre dans un autre pays. “Cela me rend heureuse. Cela m’encourage,” dit-elle.
Une autre résidente donne aussi à Sœur Stella une bonne raison d’espérer. Il s’agit d’une fille qui disait à peine un mot quand elle est arrivée.
Nicole (son nom a été changé pour protéger son identité) étudie le français en cours l’après-midi au Lycée Kasa-Vubu. Elle est en seconde (mais pas certaine de son âge). Lorsqu’elle vivait avec sa mère, elle a été accusée de sorcellerie et souvent battue, parfois sans raison et une fois juste parce qu’elle avait cassé une assiette en porcelaine en faisant la vaisselle. Le soir, sa mère la laissait seule avec son frère, leur donnant à tous les deux un médicament pour les faire dormir, pendant qu’elle travaillait en tant que prostituée. Nicole est venue au centre, il y a quatre ans, après en avoir entendu parler par d’autres filles. Plus tard sa mère est morte du Sida. Maintenant, son frère vit dans un centre fermé pour garçons. Ils ne savent pas qui est leur père.
Au Home Maman Souzanne, Nicole aide à préparer la nourriture pour les autres filles. Elle va au marché acheter les légumes et le poisson. Elle lave les vêtements et s’occupe des bambins. “Je veux devenir une journaliste TV,” dit-elle, “pour pouvoir faire des reportages sur les conditions de vie dans mon pays.”

Nicole, qui vit dans le centre, étudie au Lycée Kasa-Vubu et voudrait devenir journaliste TV.
Debout et fier

Les garçons en polos rayés bleu et rouge traversent le terrain en courant, leurs yeux rivés sur la balle jaune vif tandis que la sueur coule de leur front. D’un côté, le terrain de jeu est bordé de palmiers, tandis que les eaux du fleuve Congo coulent en arrière plan —un cadre superbe pour ce match de foot improvisé. De l’autre côté, une route traverse le quartier huppé des ambassades de Kinshasa. De nombreux habitants du quartier ont pris l’habitude de venir faire du jogging ici, et certains sont ravis de suivre le match en tant que spectateurs.
Si l’on observe les garçons au-dessus de la taille, on pourrait penser que ce n’est qu’un jeu de foot comme tant d’autres. Mais ce n’est pas le cas. En fait, les joueurs portent des appareillages orthopédiques: certains sont courts pour soutenir juste la cheville ; d’autres sont plus longs pour maintenir le genou ou la hanche.
Quelques joueurs tapent la balle avec leurs béquilles. Les joueurs de cette équipe vivent dans le quartier de Ngaliema, dans une petite enceinte dirigée par l’organisation Debout et Fier, une ONG qui soutient les enfants congolais qui ont des handicaps physiques tels que la polio. À ce jour, le centre accueille 35 garçons et jeunes hommes, âgés de 5 à 23 ans ; plusieurs membres du personnel sont eux-mêmes des anciens ayant gravi les échelons.

Samedi après-midi au centre Debout et Fier à Goma. Certains des enfants sont des résidents tandis que d’autres sont des voisins.
En ce qui concerne la polio, l’un des pires fléaux au monde, ce sont ses derniers jours d’existence, car la maladie est en voie de disparition. Depuis le lancement de l’Initiative Mondiale pour l’Éradication de la Polio, en 1988, visant à l’élimination de la poliomyélite dans le monde, 2,5 milliards d’enfants ont été immunisés. Le nombre de nouveaux cas est tombé de 350 000 en 1988 à moins de 400 en 2013. La République Démocratique du Congo a fait de grandes avancées également et n’est plus comptabilisée aujourd’hui parmi le nombre en baisse de pays où la polio est encore endémique (Afghanistan, Nigéria, et Pakistan).
Bien sûr le risque d’attraper la polio existe toujours, surtout dans les contrées où les vaccins sont rarement administrés. D’après l’organisation Initiative Mondiale pour l’Eradication de la Polio, près de 8 à 12 % d’enfants congolais en bas âge n’ont pas encore été vaccinés. Certains parents évitent les programmes de vaccination par crainte ou pour des raisons religieuses.
Ces garçons avec leurs prothèses et leurs béquilles nous rappellent que derrière le succès mondial, il y a toute une génération laissée pour compte. Ceux atteints de la polio ou souffrant d’autres handicaps physiques sont trop souvent mis à l’écart. Debout et Fier s’est mobilisé pour eux —et avec eux— dans des centres où les survivants de maladies comme la polio apprennent à se soutenir les uns les autres.
StandProud est une ONG américaine ainsi qu’une œuvre caritative anglaise en partenariat avec une organisation congolaise qui se nomme Debout et Fier (ACDF ou “Association Congolaise Debout et Fier”). Durant 14 ans, les deux groupes ont travaillé ensemble et maintenant ils ont des centres dans six endroits différents autour du Congo.
Futila, une résidente de 15 ans, faisant partie de l’organisation Debout et Fier à Kinshasa, a deux attelles et vient juste d’apprendre à marcher en utilisant une rampe extérieure. Méchak, qui n’est pas certain de son âge, mais qui doit avoir moins de 8 ans, souffre du konzo, une maladie résultant d’un empoisonnement au cassava qui paralyse les jambes. Brossy, 15 ans, a été opéré dans un hôpital aux frais de Debout et Fier. Il a maintenant un plâtre pour redresser sa jambe. Cela deviendra moins pénible au fur et à mesure de sa guérison. Obed, un garçon de 16 ans ayant contracté la polio, est depuis 2010 au centre. Ses jambes doivent aussi être redressées avant qu’il puisse être équipé. Mais il souffre de plaies douloureuses dues à la pression de ses plâtres.
“Le temps qu’il faut pour guérir dépend de l’attitude mentale. C’est plus long pour certains,” dit le superviseur de Debout et Fier, Chérif Mohamed, qui vient de la Côte d’Ivoire.
Certains résidents de Debout et Fier ne partent jamais. Ils apprennent à fabriquer des appareillages pour les nouveaux venus et rejoignent l’équipe du personnel soignant quand ils deviennent adultes —transmettant leur savoir. Comme matériel ils achètent de la ferraille dans un magasin en ville et utilisent du cuir importé des Etats Unis.

L’appareillage est construit au centre dans un atelier à ciel ouvert.
Le centre a l’électricité, il y a du mobilier confortable, dont un canapé et plusieurs chaises. Ceux qui bricolent les appareillages partagent une pièce à vivre ; les autres dénichent des endroits pour dormir ailleurs dans l’enceinte. Ils ont des matelas, mais il leur manque des draps et des rideaux. Il y a une petite cuisine avec de l’eau courante —on leur propose du pain le matin et un repas de haricots et de viande pour le déjeuner.
Tony Gambino, un volontaire faisant partie du Corps de la Paix zaïrois depuis le début des années 80 et ancien directeur de la mission USAID pour le Congo, dit à propos de Fier et Debout que “l’énergie et la beauté de ce qu’ils font, c’est tout simplement phénoménal. Ils ont aidé des milliers d’enfants et de jeunes adultes. Ces enfants éprouvent tous un immense sentiment de fierté et d’accomplissement. On leur a offert des choix.”
Un changement de perception
La Situation des Enfants dans le Monde 2013, un rapport publié par l’UNICEF, cible ceux qui ont des handicaps et les nombreux obstacles qui les empêchent de mener une vie normale. Le rapport stipule évidemment que les handicapés qui vivent en plus dans des conditions de pauvreté sont ceux qui souffrent le plus —souvent mis à l’écart par leur famille et moins susceptibles d’aller à l’école.
Les enfants avec des handicaps physiques sont “parmi les derniers à recevoir de l’aide et des services, surtout quand ces aides sont rares,” écrit Anthony Lake, Directeur Exécutif à l’UNICEF. “Il est possible d’intégrer les enfants handicapés dans la société —mais cela nécessite avant tout un changement de perception : reconnaître que les enfants handicapés bénéficient des mêmes droits que les autres.”
Rendre ces enfants visibles a toujours été une priorité pour l’organisme Debout et Fier. Il aide les enfants à s’inscrire dans des écoles où ils seront avec des élèves non handicapés, payant pour eux les frais de scolarité quand cela est possible.
StandProud a été initié par Jay Nash, maintenant conseiller humanitaire en chef au Bureau de l’USAID pour l’assistance à l’étranger en cas de catastrophes naturelles au Congo. “Jay a construit quelque chose de superbe,” affirme son ami Tony Gambino. “En regardant ce projet on constate qu’il s’est passé quelque chose de vraiment positif.”
Nancy Bolan, Directrice Adjointe d’IMA World Health, une organisation internationale pour la santé publique, à Kinshasa, travaille avec Nash sur le planning stratégique et la collecte de fonds (ils rendent aussi visite aux enfants, organisent des jeux et des événements). Ils rééduquent les enseignants, les parents et toute la communauté, afin que chacun reconnaisse les atouts de leur insertion.
Trouver l’aide financière reste une tâche ardue permanente. Les donateurs et les ONG des États-Unis, d’Allemagne, de Grande-Bretagne et de Suisse contribuent, mais peu de participations sont à long terme. Or, les factures doivent être payées —le loyer pour le centre de Kinshasa s’élève à $900 par mois. Il faut aussi trouver le financement des salaires de l’équipe, des frais de scolarité, la nourriture, les uniformes et le matériel scolaire.

Des Casques bleus faisant partie du contingent sud-africain de MONUSCO et des enfants du quartier s’amusent lors d’une performance impromptue.
Le centre Debout et Fier de Goma, présente d’autres défis. Welthungerhilfe, une ONG allemande, a négocié l’achat d’un terrain pour établir une enceinte toute neuve dans le quartier de Katindo. Le contingent sud-africain de MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation au Congo) a donné son aide pour la construction d’un établissement pouvant recevoir jusqu’à 90 résidents.
Le nouveau bâtiment se compose d’un grand salon avec des doubles portes, d’une pièce pour la physiothérapie, de deux dortoirs où 14 à 20 enfants peuvent dormir, d’une plus petite chambre à coucher pour les élèves plus âgés et d’une autre pièce pour les volontaires. En face, il y a une église avec un terrain de jeux. Une école primaire et une école secondaire sont juste à côté.
Mais le projet pour cet immeuble n’est pas encore terminé. Il manque le financement pour les latrines et l’énergie solaire. En attendant, les jeunes de Goma restent dans l’ancien centre. Et les casques bleus de MONUSCO continuent d’apporter leur aide —organisant parfois une fête le week-end.
Linda Lukambo a grandi à Walikale dans la province du Nord-Kivu, une région riche en minéraux et déchirée par la guerre. À l’âge de 5 ans il a contracté la polio. La douleur qu’il ressentait dans ses jambes l’empêchait de marcher, alors sa mère devait le porter partout où il allait. Il lui a fallu un an entier pour apprendre à “marcher” sur ses genoux.
En 2007, quand Lukambo avait 15 ans, son père l’a amené au centre Debout et Fier à Goma. Il a subi trois opérations, puis a suivi un programme de physiothérapie et fait des progrès importants. Il travaille maintenant en tant qu’assistant pour fabriquer des appareillages.
“Je suis très content,” dit-il. “Mon père, ma mère, mes trois sœurs et mes deux frères viennent me rendre visite.”
Pas tous les jeunes en résidence sont victimes de la polio. Un garçon souffre d’une blessure de guerre —ses jambes ont été paralysées après qu’on lui a tiré dessus. Certains sont nés avec un pied bot ou une atrophie cérébrale ; pour d’autres les handicaps sont le résultat d’une infection ou d’un mauvais traitement médical. L’un des enfants a été paralysé après avoir reçu une injection de quinine dans la hanche (considérée comme une manière sans danger de soigner la malaria).
Il y a des moments heureux. Un samedi après-midi, ils étaient réunis avec les membres du personnel, les voisins, et les soldats de la paix du MONUSCO pour un événement extérieur. Ils ont installé une radio, bu des sodas, et profité du soleil de midi.
L’un des garçons jette ses béquilles de côté, fait le poirier et des pirouettes —pas seulement une fois ou deux mais au moins une demi-douzaine ! Un autre plie les genoux, se soutient d’une main, lance ses jambes en avant et virevolte, tout cela en suivant le rythme de la musique. Les spectateurs applaudissent et les encouragent, puis très vite tout le monde se met à danser aussi.
Sur le Congo en pirogue


Nous faisons notre voyage en pirogue, de Mbandaka, capitale régionale sur la ligne de l’Equateur (à 75 km en amont du fleuve Congo), vers le village de Lolanga. Le voyage permet d’observer la beauté sauvage tout en étudiant les peuples marginalisés et isolés ; le fleuve est une ressource puissante mais qui n'est pratiquement plus exploitée pour le commerce et le transport.

La pirogue est une barque longue et étroite, solide et sans danger, fabriquée avec le tronc d’un arbre, le Tola. Le voyage nous fait passer le long d’une forêt dense et des palmiers, des maisons sur pilotis, au toit de chaume, et des enfants en train de jouer. Nous ne sommes pas les seuls sur l’eau —des hommes et des femmes transportent de la marchandise sur des radeaux fabriqués avec des pirogues attachées ensemble. Les pêcheurs remontent leurs filets.

Les enfants sautent des pirogues le long des berges de Mbandaka. C’est une ville d’environ 800 000 personnes, une capitale régionale importante, mais il y a peu de voitures, pas d’électricité et très peu d’eau courante. La nuit, les rues sont presque toutes dans l’obscurité ; les seules lueurs proviennent des feux de charbon de bois.

La verdure de la forêt s’étale à perte de vue. Riche, luisante et dense. Des lianes pendent des arbres, les racines s’entremêlent —épaisses, noueuses et tordues. On voit des oiseaux aux ailes rouges et à queue noire. Des canards aux couleurs chatoyantes. Des papillons jaune citron. Les cigales craquettent et les oiseaux gazouillent. L’eau ondule mélodieusement avec un rythme régulier.

C’est un voyage cinématographique. Nous dépassons des hommes et des femmes en train de se baigner, de pêcher, de laver leurs vêtements. Le long des berges du fleuve, dans tous les villages, on voit des enfants jouer dans l’eau. Ils crient mundélé (en lingala cela veut dire personne blanche) et ils nous font des signes. Les pêcheurs remontent leurs filets. Une mère ramène ses enfants de l’école en pagayant. Tous près de nous, on aperçoit les huttes à toit de chaume, dont certaines sont sur pilotis. Soudain une rangée de palmiers apparaît et leurs branches sont parsemées d’une trentaine ou une quarantaine de nids d’oiseaux.

Des bateliers transportent de grandes quantités de vivres et d’autres marchandises sur des radeaux fabriqués en réunissant plusieurs pirogues ensemble. Dieudonné, notre guide, a travaillé comme pêcheur. Il nous dit "qu’à l'époque" de grands bateaux sillonnaient le fleuve —pendant la période coloniale et plus tard quand Joseph Mobutu dirigeait le pays. Pendant les 30 ans du règne de Mobutu, le pays a subi la corruption qui a entraîné un déclin économique, suivi d’une guerre brutale se propageant à 10 pays africains. Le commerce fluvial le long du Congo a virtuellement disparu. Les échanges commerciaux en pirogue, qui remontent à plusieurs siècles, sont à nouveau en vigueur.

Nous visitons un petit village appelé Bokolomwaki. Les gens n’ont ni électricité ni générateur, sauf ce qu’ils arrivent à obtenir d’une poignée de panneaux solaires. Ici il y a 2 000 villageois, la plupart produisent de la canne à sucre. Quelques 300 enfants vont à l’école primaire et 120 autres environ à l’école secondaire. Mais de nombreux autres ne vont pas à l’école car les familles ne peuvent pas payer les frais de scolarité.

De nombreux enfants se rendent à l’école en pirogue —parfois en prenant de gros risques. Pendant la saison des pluies, entre octobre et décembre, il peut y avoir des inondations et certains enfants doivent rester à la maison.

Les deux bâtiments de l’école, l’un pour le primaire, l’autre pour le secondaire, sont en décrépitude, les bancs sont cassés. Ici le soleil perce à travers les trous du toit en chaume de l’école secondaire. Un coq picore dans la terre. Il n’y a pas d’argent pour payer des réparations —ni de fournitures.

Matena, 13 ans, étudie la biologie, la psychologie, le français, les mathématiques, et l’ordinateur (la théorie d’ordinateur, il faut dire, car ici il n’y a pas d’ordinateurs). Sa matière favorite est le français et il aime beaucoup jouer au foot. Ses parents sont des fermiers, venus de Mbandaka il y a deux ans. Matena aimerait retourner à Mbandaka —le marché de là-bas lui manque.

L’église est en meilleur état que l’école. Des bannières en plastique rouge, bleu et jaune pendent du toit —celui-ci sans trous.

Des nuages orageux sur le Congo —rappelons que c’est l’un des fleuves les plus puissants et les plus beaux du monde. Nous arrivons à Lolanga la nuit tombée, après que l’orage est passé. Le chef du village nous accueille et nous demande de venir lui rendre visite le lendemain matin. Nous passons la nuit dans la pharmacie avec "Boutique", le chat qui monte la garde sur les médicaments, chassant insectes et petits rongeurs.

Au petit matin, nous trouvons des noix de palme (nourriture de base à Lolanga), prêtes pour la vente.

Seule la moitié des enfants de Lolanga vont à l’école, explique Jean Fabien Loola Adapongo, le chef du village. De nombreux parents qui travaillent en tant que fermiers ou pêcheurs ne peuvent pas payer la scolarité.

On nous dit qu’au village il y a de nombreux problèmes de santé —malaria, cataractes, fièvre jaune, hernies, "beaucoup de maladies." Cependant, une campagne de vaccination est prévue. Dans une clinique de fortune, une infirmière vaccine contre la polio, les oreillons et la fièvre jaune.

Tandis que nous nous préparons à quitter Lolanga, un homme portant une chemise et une casquette rouge vif court vers nous. Il se présente comme étant Mboyo Ehomba Omo, le directeur de l’école de Bokolomwaki. Quand il a entendu que nous avions rendu visite à son école le jour précédent, il est venu à notre rencontre, pagayant à bord de sa pirogue toute la nuit. Il veut que nous sachions combien ses élèves sont démunis. Ils n’ont ni livres, ni fournitures. Les bâtiments sont en très mauvais état. Il a été enseignant pendant 30 ans et il est directeur depuis 12 ans —l’éducation représente le travail de toute sa vie, nous dit-il, et il veut aider. Mais il n’a pas de moyens. "Y a-t-il quelque chose que vous puissiez faire?" nous demande-t-il.

Nous laissons Lolanga derrière nous et nous dirigeons en aval vers Mbandaka, en nous arrêtant d’abord dans la ville marché de Bobanga. Du poisson est étalé sur une bâche —on trouve aussi des légumes et des haricots rouges, des tiges de canne à sucre, du manioc, des bananes, et des tissus de toutes sortes et de toutes les dimensions, des savons et des produits de pharmacie, des stylos de couleurs vives et des petits sacs plastiques remplis d’huile de palme. Sans compter qu’il y a du monde partout.

Tandis que nous revenons vers Mbandaka, nous pensons au directeur de Bokolomwaki, qui a pagayé toute la nuit pour nous retrouver à Lolanga, et aussi à notre guide, Dieudonné, le père de six garçons et de quatre filles, âgés de 4 à 32 ans. Ses trois enfants aînés sont maintenant à l’université de Kinshasa où l’un étudie la biologie et les autres la technologie d’information. Dieudonné explique que c’est sa responsabilité d’éduquer chacun de ses dix enfants. Les parents veulent toujours que la génération suivante réussisse mieux que la leur, dit-il. "La mienne n’a pas eu les moyens de m’aider. Mais moi je peux aider mes enfants. Et c’est ainsi que cela doit être."
La responsabilité de protéger

Les casques bleus des Nations Unies, mis en place depuis 2000 dans la République Démocratique du Congo, représentent l’opération la plus vaste, la plus onéreuse au monde, avec actuellement des troupes comptant 20 000 personnes et un coût annuel de $1,5 milliards. La majeure partie de cette période a consisté en une observation avec des attentes déçues, focalisée trop souvent sur la protection de ses propres troupes plutôt que celle de la population civile—surtout les femmes et les enfants— ceux qui ont été le plus touchés par les guerres brutales.
Durant l’année 2013, il y a eu des ébauches de changement. Une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé “des opérations d’offensives ciblées”, afin de neutraliser et désarmer les douzaines de milices équipées qui avaient découpé le Congo de l’est en un patchwork de fiefs en guerre. Au mois de juin, des déploiements ont commencé pour une “Brigade de Force d’Intervention”—3 000 troupes au total, en provenance de Tanzanie, d’Afrique du Sud et du Malawi. La brigade, avec la force élargie de la MONUSCO (Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en Republique démocratique du Congo), dont elle fait partie, avait pour mission de mettre en pratique le mandat renforcé du Conseil de sécurité des Nations Unies.
À la surprise de nombreux sceptiques, pendant l’été et à l’automne, la MONUSCO s’est mise à concilier rhétorique et actions sur le terrain, travaillant avec une armée congolaise plus motivée, afin de déloger, mettre en échec, et désarmer la milice du M23 (allusion au 23 mars 2009), celle qui est la mieux équipée parmi les douzaines qui ont dévasté l’est du Congo. Le fait de cibler le M23 était particulièrement significatif car cette milice avait le support direct du gouvernement voisin, le Rwanda, et avait même pris le contrôle, brièvement, de la ville de Goma.
Cette nouvelle approche de l’ONU est importante non seulement pour le Congo, où deux décennies de guerre ont fait environ 5 millions de victimes, mais comme test plus généralisé de la doctrine des Nations Unies impliquant “la responsabilité de protéger”, qui trop souvent a laissé les gens se demander: Quelle responsabilité? Et protéger qui?

Les troupes avec les Casques bleus des Nations Unies en patrouille au nord de Goma
“Actuellement, le mot d’ordre est de neutraliser la menace,” affirme le Général Carlos Alberto dos Santos Cruz, un Brésilien au parler franc, qui s’était déjà frotté aux gangs de la rue en Haïti. Depuis juin 2013, il est devenu le commandant en chef des forces militaires de la MONUSCO au Congo. “Nous allons là où il y a de la menace et nous neutralisons cette menace. Il faut que nous agissions.”
Cette différence a été mise en évidence en octobre et puis en novembre après la mise en déroute du M23 le long de la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda, suite à l’accord pour démanteler le M23.
Le M23 était composé de déserteurs de l’armée congolaise, qui ont déclenché une rébellion en avril 2012. La plupart de leurs chefs étaient des membres de la communauté ethnique des Tutsi, comme le sont la plupart des plus hauts membres du gouvernement rwandais. Les nombreux conflits dans la partie est du Congo, qui remontent au génocide de 1994 au Rwanda, ont été exacerbés par les manœuvres aux frontières pour prendre le contrôle des vastes richesses en minerais de la région.
En novembre 2012, le M23 a brièvement occupé Goma, l’une des villes les plus importantes de l’est du Congo. Au lieu de combattre, l’armée congolaise a battu en retraite et, encore pire, perpétré des viols massifs à l’intérieur de la ville de Minova et tout autour. Les troupes des Nations Unies de la MONUSCO n’ont pratiquement pas réagi.
À la fin août 2013, la situation a changé. L’armée congolaise, avec le soutien aérien et l’artillerie des Nations Unies, a délogé le M23 des hauteurs qu’il occupait au nord de Goma.
Un mandat renforcé
MONUSCO, la mission de l’ONU, est basée au Congo depuis 14 ans. Cela fait longtemps qu’elle est chargée de protéger les civils, sous le Chapitre 7 de la charte des Nations Unies. Mais durant une grande partie de cette période, la MONUSCO s’est plus préoccupée de la sécurité de ses propres soldats que de la protection des civils ou encore de la poursuite des douzaines de milices dévastant l’est du Congo.
Cependant un changement brusque a eu lieu pendant l’été 2013.
La retraite humiliante depuis Goma a donné lieu à une réévaluation par le Conseil des Nations Unies sur le rôle de la MONUSCO et la mise en place, en mars 2013, d’une nouvelle résolution afin de renforcer son mandat. Donc une nouvelle Brigade de Force d’Intervention a été établie à l’intérieur de la MONUSCO, avec 3 000 troupes venant de Tanzanie, d’Afrique du Sud et du Malawi, chargées d’exécuter des “opérations offensives ciblées” afin “d’éviter l’expansion de tous les groupes armés, de neutraliser des groupes, et de les désarmer. . .”
La MONUSCO et avant elle, la MONUC, avaient déjà été chargées de la protection des civils —un mandat renforcé au cours du sommet mondial des Nations Unies en 2005, par l’adoption de la Responsabilité de Protéger, comme norme globale contre le génocide et autres crimes de guerre. Mais au Congo, “la responsabilité de protéger” privilégiait la protection des Casques bleus.
Santos Cruz a été à la tête de la mission pour la paix des Nations Unies en Haïti, de 2007 jusqu’à 2009, et a combattu avec succès les gangs de la rue dans le bidonville de la Cité Soleil à Port-au-Prince. Lors d‘une interview, il a insisté sur l’importance de mettre à exécution la promesse des Nations Unies pour une véritable protection des civils congolais.
“Le message le plus important du Conseil de sécurité est de persévérer afin de désarmer le M23 et de faire suivre ce message à tous les groupes armés,” dit Santos Cruz, qui ajoute : “Le mandat n’est qu’un morceau de papier avec un encadrement légal. Nous devons transformer le papier en réalité, à partir de l’idée de la volonté des Nations Unies. Nous avons besoin de traduire cela en action.”
Santos Cruz a parlé de son rôle le jour où tous les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies sont venus visiter Goma. Les ambassadeurs des Nations Unies ont reçu un briefing de première main sur la situation militaire, dont une expédition sur les hauteurs de Kibati, juste du nord de Goma, le territoire que l’armée congolaise et les troupes des Nations Unies venaient de reprendre au M23.

Le Général Carlos Alberto dos Santos Cruz, commandant des forces pour la paix de la MONUSCO au Congo, après avoir briefé les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, avec des journalistes, en octobre 2013, sur les lignes du front de la bataille du Congo contre la milice du M23.
Un contexte pour le conflit
Le contexte régional est crucial pour le conflit dans cette partie est du Congo, surtout le rôle du Rwanda qui fournit des armes au M23 et à des milices semblables. Le Rwanda nie toute implication. Les officiels américains n’ont pas voulu prendre de face leur Président, Paul Kagame, un allié proche depuis qu’il est à la tête du pays, suite au génocide rwandais en 1994. Mais en automne 2013, les États-Unis ont décidé de suspendre l’aide militaire —citant la complicité du Rwanda dans le recrutement d’enfants-soldats par le M23.
La position plus engagée de la MONUSCO a été une surprise bienvenue pour les résidents de Goma. Tout comme les réaffectations, restructuration et les autres changements qui ont donné une image plus respectable de l’armée congolaise (FARDC), et plus disciplinée que l’entité dissolue précédemment, associée au pillage, à la corruption, et au viol.
Le colonel Olivier Hamuli, porte-parole en chef de l’armée dans la province du Nord-Kivu, a pris part en 2013 aux opérations de combat contre le M23. Lors d’une interview et d’un parcours sur les lignes du front, il a vanté le succès de l’opération en collaboration avec la MONUSCO. Il a promis que son gouvernement resterait ferme en n’accordant pas l’amnistie aux leaders du M23 et ne réintégrant pas les commandants seniors de ce M23 dans l’armée congolaise.
Hamuli a reconnu la culpabilité de l’armée en ce qui concerne les viols et autres crimes, mais il a insisté sur le fait que le gouvernement congolais est prêt à prendre une position plus sévère.
Ainsi la poursuite judiciaire des soldats congolais responsables de viol a augmenté depuis plusieurs années. Les groupes défenseurs des droits de l’homme notent, cependant, que la grande majorité des coupables reste impunie; les hauts gradés qui sont responsables de ces crimes sont effectivement intouchables.
Des routes plus fréquentées
La ville de Masisi n’est qu’à 78 kilomètres de Goma, mais pour y aller il faut compter six heures par des routes caillouteuses et boueuses. Le territoire montagneux est un échiquier de fiefs militaires en rivalité —et un challenge logistique dantesque pour la compagnie de soldats indiens qui commandent les bases opérationnelles de la MONUSCO.
Le lieutenant colonel Bhanish Sharma, officier militaire de 4e génération, du Punjab, est en fonction ici depuis novembre. Il apprécie l’insistance de Santos Cruz pour “une force, un mandat,” mais il pense que dans des conditions aussi rudes, il est plus réaliste d’encourager la démobilisation volontaire des membres militants que d’engager une confrontation militaire.
vidéo filmée par Kenny Katombe
“Vous avez bien vu le mauvais état des routes,” dit-il, debout dans la gadoue à l’ouest de Masisi. Le convoi de Sharma, comportant quatre véhicules de la MONUSCO, a passé la plus grande partie de sa matinée de patrouille à remorquer leurs propres véhicules, tombés dans les fossés, et a parcouru moins de quatre kilomètres. “En général, ma patrouille préfère la marche à pied car cela prend moins de temps.”
Les critiques ont maintes fois accusé la MONUSCO de n’avoir pas riposté pendant les attaques sur les civils, dit Sharma, mais dans cet environnement, “une réponse rapide” prend des heures au mieux. Des attaques qui ont lieu à plus de quelques kilomètres nécessitent une autorisation pour avoir des hélicoptères, ce qui peut prendre des jours à obtenir. Sharma dit que, sur le papier, sa région a la garantie de bénéficier au moins d’un hélicoptère de patrouille par mois, comme démonstration visible de la présence des Nations Unies. Mais à cause du ciblage en cours du M23, il n’y a eu ici aucune patrouille d’hélicoptères depuis trois mois.
Un appel à l’aide des victimes
Au camp Mugunga accueillant les personnes déplacées en dehors de Goma, il n’y avait aucune ambigüité sur la définition de la “responsabilité de protéger”. Les représentants du Conseil de sécurité des Nations Unies étaient entassées dans un petit bâtiment en bois, parmi eux, l’ambassadrice des États-Unis, Samantha Power, a entendu en direct ce qui suit, de la part des femmes résidentes.
L’une a raconté que, quand elle avait essayé de retourner dans son village, elle avait été violée par des hommes armés. Une autre, originaire du Rutshuru, a dit que sa ferme avait été prise par des envahisseurs du Rwanda. Une troisième a soulevé sa robe pour montrer les blessures à sa jambe, provenant d’un obus du M23 qui avait détruit une maison juste au dehors du camp Mugunga.
Peut-être ces femmes étaient-elles un peu déroutées par la présence des nombreux diplomates. “Nous aimerions vous connaître,” a dit l’une d’entre elles, “savoir exactement qui vous êtes.” Mais elles ont été très claires quant au fléau responsable d’avoir brisé leurs vies: le M23 et d’autres milices armées, avec le soutien qu’ils ont reçu des gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda.
“Vous devez absolument faire quelque chose pour sensibiliser tous ces pays voisins qui font la guerre au Congo de l’est,” a dit l’une des femmes. “Les sensibiliser, mais aussi les punir, les sanctionner, car ces pays nous ont terriblement fait souffrir.”

L’Ambassadeur Samantha Power, représentante américaine aux Nations Unies, écoute les plaintes des résidents dans le camp Mungunga de Goma.
Power était visiblement émue par ce que les femmes disaient. “Ce qui a été fait jusqu’à maintenant n’est pas suffisant pour arrêter vos souffrances,” nous a-t-elle dit. “Il y a des problèmes de fond ici, des problèmes historiques. Hélas, on ne peut pas brandir une baguette magique et les faire disparaître. Mais nous sommes ici car nous sommes profondément concernés par la souffrance qui continue d’exister.”
Tandis que Power et les autres diplomates se dirigeaient vers leurs 4X4, les femmes sont sorties de la petite maison en file indienne, vers un espace ouvert du campement, au milieu de centaines de résidents. Les femmes se sont mises à chanter. “Nous vous disons au revoir, au nom de Jésus. Nous vous remercions d’être venus. Nous vous remercions d’avoir promis de nous aider, afin d’apporter la paix. Nous remercions Jésus . . .”
Dans un bureau de fortune, sur la base MONUSCO du lac Kivu, le Général Santos Cruz pointe sur une carte le Congo, troisième plus gros pays d’Afrique, et le territoire relativement petit des Kivus en bordure est du pays. Il se fait du souci surtout pour ceux qui ne portent pas d’armes, les jeunes, tous ceux sans protection. Il a une vision ambitieuse. Pour les générations à venir, il offre bien plus que des promesses à répétition.
“Quand vous comparez ceci au Congo, vous voyez que ce n’est qu’un tout petit territoire” dit-il. “Et cependant chaque jour il y a des viols, des mineurs qui rejoignent des groupes armés, des recrutements par la force,” et plus d’un million de personnes déplacées hors de leurs foyers.
“Nous devons venir ici avec une forte volonté,” dit-il, “pour prendre des risques et pour agir.”
Promo Jeune Basket

“Quand vous venez ici, vous jouez dur, vous travaillez dur.”
C’est ce que dit Dario Merlo à ceux qui cherchent à rejoindre la PJB, la Promo Jeune Basket, une initiative de la ville de Goma. Il y a beaucoup de participants —actuellement plus de 650 jeunes garçons et filles, âgés de 5 à 25 ans, qui apprennent tous à maîtriser le mouvement à trois et le pick-and-roll (position écran et appel de balle).
Dario est né à Goma. Il est parti pour la Belgique en 1994, pendant le génocide rwandais. Il avait 11 ans à l’époque, l’âge idéal pour tomber amoureux du basket. Il jouait dès qu’il pouvait.
Il a étudié l’histoire et les sciences sociales à Bruxelles, puis en décembre 2005, il est rentré à Goma. Il a immédiatement recherché une équipe afin de pouvoir continuer à jouer au basket-ball. Une fois, un ami n’est pas venu pour une partie improvisée, alors il a trouvé quatre gamins avec lesquels jouer. Très vite il a pratiqué ce sport régulièrement, enseignant à ces garçons quelques passes, travaillant sur leurs tirs avec saut et course. Bientôt, il leur a acheté des chaussures et payé leurs frais de scolarité.
Au départ, c’était seulement pour s’amuser. Mais en 2009, Dario a voulu vraiment lancer un programme de basket-ball pour les jeunes, un projet qui transformerait des vies. C’est alors qu’il a créé PJB, puis il a rapidement été amené à superviser la construction de trois nouveaux stades de basket.

Le coach Fabrice Kabantu aide un joueur.
Or, Dario a par ailleurs un emploi régulier —il est directeur régional pour l’Institut Jane Goodall, une ONG mondiale pour la protection de la biodiversité et de l’environnement. PJB fait partie du mouvement Roots & Shoots de l’Institut, qui implique des jeunes de plus de 130 pays dans leur programme éducatif. Et c’est Jane Goodall en personne, humanitaire et experte en chimpanzés, qui l’incite à continuer.
Ne faisant plus d’entraînement lui-même, Dario recrute maintenant les coachs et aide à les former, une responsabilité qu’il ne prend pas à la légère. “Un coach est un leader et un modèle de référence pour tout le monde,” explique-t-il. “Un coach ne peut pas être ivre dans la rue.”
Gérard, un jeune joueur qui a demandé à être coach, est un ancien gamin de la rue. “Il disait qu’il voulait entraîner les autres. Je ne pouvais le croire. Il n’avait que 18 ans,” dit Dario. “Mais il s’est révélé l’un des meilleurs. Dur, humble, honnête, travailleur, mais aussi un joueur d’élite.”
Tous les joueurs de basket de la PJB doivent être inscrits à l’école. Dario a engagé un professeur d’anglais et insiste pour que tout le monde prenne des cours d’anglais après l’école. Pour une raison très simple. “Si vous avez de l’intégrité, des compétences et parlez anglais, vous aurez toutes les chances de trouver du travail,” dit-il.
Mais Dario va au-delà de l’emploi, car la formation du caractère compte aussi et surtout l’esprit d’équipe. Il dit aux jeunes joueurs (dont 150 filles), que faire de son mieux est largement récompensé. “Nous leur enseignons non seulement à être un bon joueur mais avant tout une bonne personne,” ajoute-t-il. “Ils ont besoin d’être de solides coéquipiers, d’avoir de la discipline. Cela s’apprend. Et ça leur plait. Ils rêvent tous d’aller jouer en Amérique.”
Dario leur dit qu’ils deviendront les leaders du changement dans leur propre pays. “Quand ils grandiront, ils auront un réseau de personnes avec les mêmes valeurs.”
Il encourage aussi ses jeunes élèves à se soucier de l’environnement. Parmi les activités du week-end, il y a la plantation des arbres (entre 500 et 2 000 par an), l’installation de poubelles, et le nettoyage dans les quartiers.

Des jeunes filles de 14 à 16 ans lors d’une séance d’entraînement après l’école. Les uniformes pour les joueurs plus âgés sont fournis par la PJB.
Peu se montrent aussi audacieux et résolus que Dario pour affronter un tel challenge. Les combats dans Goma et les alentours ont détruit des écoles et des maisons, traumatisant et déracinant d’innombrables innocents. À Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, 32 % des citoyens âgés de 17 à 22 ans ont moins de deux ans d’instruction, d’après l’UNESCO. De nombreux jeunes ont dû quitter leurs maisons —en juillet 2013, l’UNHCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) a rapporté que 967 000 personnes dans le Nord-Kivu avaient été déplacées à cause du conflit. Cependant Dario est déterminé à voir autant d’enfants que possible déjouer le mauvais sort, rester fidèle au basket-ball, et continuer d’aller à l’école.
Au fur et à mesure que les joueurs grandissent, les jeux deviennent plus compétitifs. Il y a 11 équipes dans la première division des garçons et quatre dans celle des filles. La PJ B offre des bourses à plus de 100 des meilleurs joueurs. Dario souhaiterait pouvoir en offrir encore plus. “90% le méritent,” dit-il.
Christian Maliro a débuté chez PJB il y a trois ans : à 18 ans, il a reçu une bourse. “J’ai appris comment me comporter en société. Je sais protéger l’environnement, planter des arbres fruitiers,” dit-il. Mais il aime bien aussi la compétition sportive et il a un coach qui l’aide à faire des progrès. “Mon coach comprend mes faiblesses.”
Quelquefois des parents renâclent à laisser leurs enfants participer. Ils voudraient qu’ils soient disponibles pour des tâches comme aller chercher de l’eau. “Mais les parents peuvent changer d’avis,” dit Dario. “Ils finissent par se dire que l’entraînement est important. L’esprit d’équipe est top car nous enseignons des valeurs. Par exemple, si vous perdez votre téléphone à la PJB, vous le retrouverez. Ici les parents deviennent fiers de leurs enfants.”
Soigner les corps et les cœurs

Dr. Kasereka “Jo” Lusi, un chirurgien orthopédique qui opère en urgence sur le terrain, dans la région de Goma déchirée par la guerre, est aussi un grand défenseur des droits de la femme.
“Si vous prêtez assistance à des femmes et des enfants, vous avez commencé à œuvrer pour la santé d’une nation,” dit-il. Dans un pays où “violer une femme est considéré rien du tout,” ajoute-t-il, “nous devons signaler aux femmes leurs droits et éduquer les hommes.”
Lusi a mis cette philosophie en pratique dans l’un des pays les plus préoccupants au monde, où il a consacré quarante ans à exercer une médecine non traditionnelle.
Jusqu’à sa mort il y a deux ans, sa partenaire de travail était sa femme Lyn, une Anglaise que Lusi a rencontrée en 1974 quand elle est venue enseigner au Congo. Tous deux ont travaillé dans un hôpital et dans des écoles au nord-est du pays pendant de nombreuses années. En 2000, ils ont fondé HEAL Africa, qui est devenu le premier centre hospitalier universitaire régional à Goma. L’acronyme HEAL signifie Health Education Action and Leadership : Santé Éducation Action et Direction

Dr. Jo Lusi, fondateur de HEAL Africa (à gauche) avec deux docteurs et deux jeunes patients. Lusi forme des médecins en chirurgie orthopédique.
Vivant à Goma, Jo et Lyn Lusi ont été les témoins des effets brutaux de la guerre sur les femmes et les enfants. Tout en formant 30 médecins en 11 ans, ils ont aussi soigné les survivantes de violences sexuelles —4 800 femmes entre 2002 et 2012. De nombreuses patientes souffrent de fistules (des déchirures de la vessie ou du rectum qui peuvent provoquer l’incontinence), résultant d’un viol ou d’un traumatisme à la naissance. Les médecins de HEAL Africa sont reconnus pour être des spécialistes en réparation de fistules.
Les jeunes femmes reçoivent bien plus que des soins médicaux quand elles viennent à HEAL Africa. “Nous soignons le corps, mais nous développons aussi des capacités,” dit Lusi. Certaines femmes demeurent en résidence jusqu’à leur guérison. Elles participent à la formation professionnelle, acquérant des aptitudes pour la couture et la céramique. On les encourage à vendre leurs travaux d’artisanat —parures-de-lit, vêtements, sacs, paniers, napperons, poupées, et colliers en papier.
Les enfants qui viennent à HEAL Africa, soit comme patients, soit en accompagnant leur mère, vont en classe dans une école d’une seule pièce. Emmanuel, 6 ans, et Kibasa, 5 ans, deux frères du territoire Kalehe, à 100 kilomètres de Goma, ont tous les deux été blessés à la naissance. Ils souffrent d’un étirement du plexus brachial, une blessure neurologique qui peut arriver quand le nouveau-né est tracté trop vigoureusement pendant l’accouchement. Ces blessures ont été réparées chirurgicalement : on a plâtré ces gamins et le temps de guérir leurs épaules, ils sont allés à l’école.

Les frères Emmanuel, 6 ans, et Kibasa, 5 ans, ont tous deux été blessés à la naissance. Ces blessures ont été soignées dans le centre HEAL Africa.
Chez HEAL Africa les filles plus grandes et les jeunes femmes apprennent aussi à lire et écrire et reçoivent un accès à des micro-crédits. “Quand une femme est analphabète, elle manque de confiance en elle,” explique Lusi. De même que “Quand une femme est pauvre, elle manque de confiance en elle.” On les incite à faire moins de tâches ménagères et à parler aux hommes de leurs vies pour les encourager à partager le travail. “Les femmes doivent devenir des interlocutrices à part égale avec leur mari.”
L’influence de HEAL Africa se ressent bien au-delà des frontières de Goma. Les soignantes et les accoucheuses sont envoyées dans les villages pour apporter une assistance médicale. Les mères, qui devaient compter sur “la femme du village” pour leur accouchement, ont pour la première fois d’autres choix.
Quand Lyn Lusi est morte du cancer le 17 mars 2012, non seulement sa famille mais toute la nation a déploré sa disparition. Jo Lusi continue le travail qu’elle a laissé derrière elle. Il aime dire, “Soigner c’est comme composer une grande salade avec plein d’ingrédients.” Ce qu’il fait avec maestria.
Danser pour changer

“Avant c’était juste une récréation pour nous,” dit Chiku Lwambo, “mais maintenant grâce à la danse contemporaine, nous avons trouvé comment nous exprimer et prendre position.”
Chiku faisait une pause entre les répétitions à Yolé! Africa, un centre artistique de Goma. Chiku, 26 ans, et son jumeau Chito sont co-directeurs de la compagnie Busara Dance, qu’ils ont lancée en 2009.
Les deux frères ont grandi en dansant. Dès l’âge de 8 ans, ils se produisaient dans la rue avec différents groupes —les danses congolaises traditionnelles, le hip-hop et le break dance. En 2005, ils ont suivi une classe de danse contemporaine à Yolé. “Cela nous a hypnotisé,” se souvient Chiku. “On a commencé à voyager et on a vu ce que les autres pouvaient faire avec la danse. Elle a changé nos perceptions et notre manière de regarder le monde.” Par la suite, Chiku et Chito ont créé leur propre compagnie afin de pouvoir s’exprimer de la meilleure manière possible.
Les frères Lwambo créent des chorégraphies sur des thèmes qui mettent en avant les dures réalités de la vie quotidienne dans leur pays. “Comment j’ai rencontré votre mère” raconte la vie d’une fille violée par un chef rebelle et qui tombe enceinte. Hanté par ce qu’il a fait, l’homme retrouve la jeune fille et assume la responsabilité de leur nouveau-né. Une autre danse évoque le recrutement des enfants soldats. “C’est Quoi Ton Histoire?” a été inspiré par un témoignage fait à l’organisation Human Rights Watch.
Même si Busara a fait participer des adultes, hommes et femmes, en 2014 ses huit membres permanents étaient tous des jeunes hommes d’une vingtaine d’années. Ils répètent trois jours par semaine pendant trois heures et ils sont encouragés à rechercher des mouvements d’improvisation. “Nous donnons aux danseurs de la liberté dans un environnement où la création artistique a été négligée,” dit Chiku. La compagnie a présenté des spectacles à Goma et en tournée, à Kigali, Kampala, et Nairobi. Chiku et Chito ont aussi donné des représentations à Bruxelles et en Allemagne ainsi que sur la Côte d’Ivoire.
“Nous partageons tout, les idées, les vêtements,” dit Chiku à propos de son jumeau. “C’est plus qu’un ami, plus qu’un frère –c’est ma moitié.” Quand Chiku a développé “La Veste du Président,” une pièce sur l’hypocrisie –la veste symbolisant une manière de cacher qui on est vraiment–, c’est Chito qui lui a donné les conseils dont il avait besoin pour améliorer cette œuvre. Puis quand Chito a voulu créer une danse sur l’esclavage des temps modernes, les jumeaux ont échangé des idées. Chito a fait la chorégraphie et Chiku lui a donné des indications.

Chiku Lwambo, co-directeur, et six membres de la Compagnie Busara Dance. De gauche à droite: Biencon Hangi, Rodrigue Natamenya, Méchak Lusolo, Said Mohammed, Guelord Mulonda, Jacques Hulaire.
Aussi important que les spectacles, il y a le travail qu’ils effectuent pour aider les survivants de violence sexuelle et les enfants-soldats, afin de leur permettre de guérir du traumatisme. Peu d’endroits au monde ont une aussi grande demande. À Goma et ses alentours, où le viol est devenu une arme de guerre, les coupables sont autant les groupes rebelles que les soldats de l’armée.
En travaillant avec les femmes en résidence à HEAL Africa, un centre hospitalier de Goma, spécialisé en soins sur le long terme pour des femmes marquées par un traumatisme sexuel, Chiku a trouvé une façon d’utiliser le mouvement et la danse pour faire tomber les barrières. Il a aidé les femmes là-bas à se sentir intégrées à la communauté. “Elles sont devenues plus ouvertes en se confiant,” dit Chiku. “Elles éprouvaient moins de honte et se sentaient plus heureuses.”
Chiku prend aussi en compte les problèmes auxquels les enfants-soldats font face quand ils retournent chez eux. Ils sont nombreux à ne plus avoir l’impression de faire partie des leurs —ils sont proscrits. Chiku a travaillé à Kigali avec des jeunes qui avaient combattu au Congo et rentraient au Rwanda, leur pays natal. Il a monté un programme thérapeutique de danse afin d’encourager ces garçons “à transformer les émotions négatives en quelque chose de positif. Je voulais leur redonner confiance en eux et une raison de vivre,” dit-il.
Les sentant mal à l’aise et sans humour, il s’est efforcé de les faire rire. Il s’est mis à marcher et saluer comme un soldat et a réussi à leur faire imiter ses mouvements. Puis il a tenté du comique. Il a effectué un plié et ils se sont tous mis à rire. Après cela, la glace était rompue, et ils ont pu enfin commencer à se laisser aller.
Il a aussi travaillé avec eux sur l’improvisation, demandant aux ex-combattants de faire semblant de se tirer dessus. Au milieu de l’exercice, il leur a dit de devenir la personne blessée, afin qu’ils puissent s’identifier à leurs victimes. Ainsi très vite, les surveillants ont noté une différence d’attitude chez les jeunes garçons dont ils s’occupaient. Ceux-ci sont devenus moins réservés et plus confiants. Ils faisaient des blagues, ils souriaient. Les plus grands se sont mis à être attentifs aux plus jeunes comme si c’était leur devoir de les protéger.
“Si vous voulez changer quoi que ce soit, il faut d’abord vous changer vous-mêmes,” affirme Biencon Hangi, 22 ans, membre de la compagnie Busara Dance. “Moi, je danse pour me changer moi-même.”
Une journée typique

La République Démocratique du Congo est un État mal connu, trop souvent déformé par des commentaires abstraits ou excessifs. Dans l’opinion générale, c’est le pays le plus pauvre du monde, le plus violent et subissant le plus d’abus sexuels. Le “ventre mou de l’Afrique,” ainsi que l’historien français Gérard Prunier l’a qualifié, un pays où s’arrêtent les routes pavées, tout comme l’espoir d’un gouvernement efficace et honnête.
Parmi ces abstractions et ces excès, il y a beaucoup de vrai, notamment certains détails qui se trouvent dans les chapitres de ce livre. Mais le Congo est tellement mieux que cela —c’est un pays d’une stupéfiante beauté, animé par une foi profonde avec des familles très croyantes mais néanmoins déterminées à créer un futur sécurisant pour leurs enfants, avec de belles perspectives de réussite.


De nombreux enfants à Goma commencent et terminent leur journée en allant chercher de l’eau. Souvent les très jeunes marchent pendant plusieurs kilomètres, sans être accompagnés par un adulte. Ils portent des bidons jaunes de 10 litres attachés dans leurs dos.

Sur une plage publique dans le quartier de Himbi à Goma, certains payent pour de l’eau potable traitée par le gouvernement et fournie à la pompe, tandis que d’autres vont chercher leur eau au lac Kivu. Nombreux sont ceux qui boivent de l’eau non bouillie et donc souffrent de diarrhées à répétition et d’autres maladies.
Les volontaires d’ONG telles que l’Organisation Solidarité Internationale traitent l’eau du lac avec du chlore (testant l’eau tous les jours pour déterminer la quantité précise de chlore nécessaire). Le service est gratuit, mais tout le monde n’en profite pas.

De jeunes garçons portant de l’eau dans des bidons attachés à leur vélo.

Les routes fourmillent d’enfants et de jeunes adultes, certains poussent des carrioles faites de bric et de broc, sur lesquelles s’empilent des sodas, de la nourriture, des articles ménagers, ou du petit bois.

Du charbon de bois, matériau de base pour la cuisine mais une menace pour la forêt congolaise, est empilé dans des sacs d’un mètre de haut à l’arrière des vélos.

Les enfants commencent l’école primaire à l’âge de 6 ans. Il y a 1154 élèves qui vont à l’Ecole Primaire Notre Dame du Congo. Le matin, ils se rassemblent pour les annonces dans la cour de récré et c’est aussi là qu’ils chantent et qu’ils prient.

Dans les classes, il y a en moyenne 75 élèves. Les enfants apprennent à travailler individuellement ou en groupe. Dès leur plus jeune âge, on leur enseigne qu’il faut protéger l’environnement. Un instituteur demande aux enfants d’identifier diverses plantes —banane, mangue et manioc. Il les incite à s’occuper de leurs propres plantes ainsi que de celles des voisins. “Eloignez les chèvres et les poulets —mais parlez gentiment. N’utilisez pas de pierres,” conseille-t-il.

Les élèves copient leurs devoirs dans un cahier. “Pendant combien de jours une poule couve-t-elle ses œufs?” demande l’enseignant.

En rentrant à la maison après l’école, les enfants mangent des platées de riz et de feuilles de manioc cuisinées dehors, au charbon de bois.

L’après-midi, les enfants jouent dehors et aident dans le jardin. Les familles font pousser des choux, des haricots, des oignons, de la canne à sucre, du manioc, des bananes, et bien d’autres plantes. La terre fertile et le climat donnent de belles récoltes. Leur surplus est souvent revendu au marché pour avoir des revenus supplémentaires.

Une fillette fait ses devoirs en utilisant une grande ardoise que sa famille a achetée sur le marché. Les enfants étudient le français et parlent aussi une ou plusieurs langues africaines. L’anglais est en train d’être introduit dans les écoles.

Mais pour de nombreux enfants il n’y a pas de maison qui puisse s’appeler foyer. Les orphelins ne sont pas rares dans un pays déchiré par la guerre et la maladie. Amani (nom en Swahili pour “guerre”) est un petit orphelinat créé par un couple de Goma, il y a sept ans, une organisation de base pour les enfants du Masisi ayant perdu leurs parents pendant la guerre ou dans les combats. Pendant la journée, un pasteur s’arrête avec des régiments de bananes; un commandant de l’armée apporte du riz et des légumes. Les enfants plus âgés vont à l’école; l’orphelinat loue son moulin à farine pour se dédommager des frais de l’école.

Amani offre aussi un abri pour de nombreux anciens enfants-soldats dans un programme de réhabilitation. Ici, ils apprennent à devenir tailleurs. En partant, ils pourront emporter leur machine à coudre et se suffire à eux-mêmes en gagnant leur vie.
Pour des dizaines de milliers de Congolais, consignés depuis plus de dix ans dans des camps pour personnes déplacées, les jours se suivent dans une litanie monotone qui n’est brisée que par des éclats de violence. Ces femmes vivent dans le Camp Mugunga en dehors de Goma. Elles viennent de rencontrer les ambassadeurs des Nations Unies, à qui elles ont confié leurs craintes de rentrer dans leurs maisons ou même de sortir du camp pour ramasser du bois. Pourtant la chanson qu’elles entonnent lors du départ des diplomates est pleine d’espoir : “Nous disons au revoir, au nom de Jésus. Nous vous remercions d’être venus. Nous vous remercions d’avoir promis de nous aider, d’avoir promis de nous protéger et d’apporter la paix. Nous remercions Jésus . . .”
Un trésor appartenant à tous les Congolais est l’incroyable richesse et l’abondance de la flore et de la faune. Au plus profond du pays, rarement aperçus par la plupart des Congolais, sauf dans des parcs comme Kahuzi-Biéga, vivent les superbes gorilles des plaines de l’est, uniques dans cette partie du monde. Autre rareté congolaise, le chimpanzé bonobo évolue dans son habitat naturel, dans la jungle dense au sud du fleuve Congo. On trouve aussi des spécimens comme celui-ci dans un centre de secours des bonobos, juste en dehors de la capitale Kinshasa. Sur les routes boueuses circulent de nombreuses mobylettes, souvent chargées de familles entières emportant de la marchandise au marché. Il n’y a pas de limite à ce que les gens sont capables de trimbaler à l’arrière de leurs vélos ou motocycles —une parabole satellite, des légumes pour le marché, ici, un cercueil pour quelqu’un qui vient de mourir. Dans la soirée, au coucher du soleil, les enfants retournent au lac pour aller chercher encore plus d’eau, glissant le long des gros cailloux. Demain le cycle recommencera à nouveau.
Les défis pour le Congo

1. La République Démocratique du Congo, le troisième pays le plus important d’Afrique, a une population d’environ 68 millions de personnes. Depuis 1998, plus de 5 millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts à cause de la guerre, des maladies et de la pauvreté. (1)
2. Dans certains endroits à l’est du Congo, deux femmes sur trois sont des survivantes de violences sexuelles. (1)
3. En 2011, la République Démocratique du Congo était au cinquième rang pour la mortalité avant l’âge de 5 ans. D’après l’USAID, 148 sur 1000 enfants congolais n’atteindront pas l’âge de cinq ans. (1)
4. Seulement 31% des enfants congolais de moins d’un an sont complètement vaccinés et 46% des enfants de moins de cinq ans sont rachitiques et souffrent de malnutrition chronique. (1)
5. Au Congo, 38% des enfants dorment sous des moustiquaires traitées à l’insecticide, et 39% des enfants fiévreux reçoivent un traitement anti-malaria. (2)
6. Des dizaines de milliers d’enfants ont été recrutés pour être soldats. (1)
7. Au Congo, on exploite 15% des enfants de 5 à 14 ans en les faisant travailler. (2)
8. En 2011, 68% des hommes Congolais et 62% des femmes âgées de 15 à 24 ans savaient lire et écrire. (2)
9. Parmi les 20% des jeunes enfants les plus riches, 2% possèdent trois livres d’enfants, ou plus, et 40% ont deux ou trois jouets. Parmi les 20% les plus pauvres, 0% ont trois livres et 21% ont deux ou trois jouets. (2)
10. Dans les pays en voie de développement, on compte 80% de personnes handicapées; ils font partie des 20% les plus pauvres qui vivent avec moins de $1 par jour. Or, les enfants handicapés ont cinq fois plus de malchances de souffrir d’abus sexuels et physiques. (3)
Sources:
Annexes

Pour en savoir plus à propos des enfants du Congo, voir le programme du Pulitzer Center :
Joe Bavier & Marcus Bleasdale: The Lord’s Resistance Army: the Hunt for Africa’s Most Wanted
Fiona Lloyd-Davies: Congo: Consequences of a Conflict With No End
Mvemba Phezo Dizolele: Congo’s Conflict: Profit and Loss
Pete Jones: Poaching, Conflict and Conservation in the Democratic Republic of Congo
Michael Kavanagh: The Roots of Conflict in Eastern DRC
Kira Kay & Jason Maloney: DRC: Fragile State—Halting the Slide Towards Failure
Jacob Kushner: Congo’s Plan: What the Next World Power Sees in the World’s Poorest Nation
Richard Mosse: Infra: Images from Eastern Congo
Stuart Reid: Russ Feingold in the Congo
Jon Sawyer & Kenny Katombe: Peacekeepers: The Congo Case
Kem Knapp Sawyer & Jon Sawyer: Congo’s Children
Mary Wiltenburg: Run or Hide? Seeking Refuge in Tanzania
Plusieurs chapitres dans Les Enfants du Congo ont été adaptés d’articles publiés précédemment :
TruthAtlas: “Former Orphan Provides Safe-Haven for Street Kids in Africa”
TruthAtlas: “Stand Proud for Polio Survivors”
PBS NewsHour: “Will M23 Step-down Set the Stage for Peace Among Armed Groups in the Congo?”
TruthAtlas: “Basketball Is Inspiring Youth in Congo”
Dowser: “More Than Surgery or Pills: HEAL Africa Provides Holistic Care in War-torn Congo”
TruthAtlas: “Congolese Dancers Express Resilience to Violence”
The Washington Post: “In far-away Congo, a girl’s life is focused on school and family”

Kem Knapp Sawyer écrit des livres pour jeunes lecteurs dont Refugees : Seeking a Safe Haven et a publié des biographies de Nelson Mandela, Gandhi, Anne Frank, et Eleanor Roosevelt. Elle travaille au Pulitzer Center en tant que collaboratrice à la rédaction et elle est conseillère auprès des étudiants qui ont obtenu une bourse pour un projet de journalisme international. Ses reportages concernent les enfants à risque au Bangladesh, en Inde et Haïti. Voir http://kemsawyer.com/
Jon Sawyer est le directeur fondateur du Pulitzer Center on Crisis Reporting. Auparavant, Jon dirigeait le bureau du journal St. Louis Post-Dispatch à Washington DC. Il a effectué des reportages dans des dizaines de pays et, trois ans de suite, a reçu le prix du National Press Club pour le meilleur reportage à l’étranger. Son travail a aussi été récompensé par l’Overseas Press Club, IRE (Investigative Reporters and Editors) et la School of Foreign Service à Georgetown University.
Credits
texte et photographies
KEM KNAPP SAWYER
JON SAWYER
mise en page
MEGHAN DHALIWAL
editing video
MEGHAN DHALIWAL
STEVEN SAPIENZA
editing supplémentaire
TOM HUNDLEY
REBECCA GIBIAN
traduction
MARY DESCHAMPS AVEC LA COLLABORATION DE ODILE B. DE SAUVERZAC
Nous remercions tout particulièrement Nancy Bolan, Lane Hartill, Kenny Katombe, Nadine Lusi, Jean-Schram Mupfuni, et Chrispin Mvano d’avoir fait partager leurs connaissances et leur expertise, et d’avoir si généreusement consacré du temps à notre projet.
Le Pulitzer Center est une organisation à but non lucratif, qui finance le reportage indépendant dans le but d’augmenter la couverture médiatique et de faire participer un public aussi vaste que possible à la scène internationale. Le Centre a des partenariats avec des journaux importants, des magazines et des chaînes de radio et télévision, ainsi qu’avec des universités et des lycées.
Le centre a reçu un Emmy pour récompenser ses nouvelles approches de l’information et des documentaires, le prix Goldman Sachs de la Fondation Asia Society pour la meilleure utilisation de la technologie sur le plan de l’éducation internationale, et des prix du National Press Foundation, Society of Professional Journalists, et du National Press Club, pour le meilleur journalisme sur internet.
Photographies et textes © journalistes mentionnés, 2014. Tous droits réservés. Aucune reproduction de cet ouvrage, quel que soit le procédé, n’est autorisée sans la permission écrite de l’éditeur.
ISBN 978-0-9856745-7-1
